Réforme      21/02/2013

Quel a été votre parcours depuis le début de la révolte en Syrie ?

Je suis anthropologue et journaliste. J’ai quitté la Syrie en 2011, au tout début de la révolte, et me suis réfugiée en France. À l’origine, j’étais membre du Conseil national syrien (CNS). J’en ai été exclue à la suite de mes déclarations anti-islamistes. Je souhaitais alerter la communauté internationale et les Syriens de la montée des islamistes parmi les rebelles. Actuellement, je suis présidente du Mouvement de la société pluraliste, fondé en octobre 2012.

L’arrivée du chrétien George Sabra, à la tête du CNS, a-t-elle changé la donne ?

Absolument pas. Sabra s’exprime très peu et lorsqu’il le fait, c’est pour répéter les discours des
Frères musulmans. Il demande toujours plus d’armes pour les rebelles. Mais qui sont-ils ?
Que 
défendent-ils ? Certains sont des islamistes. Modérés ou extrémistes, cela revient, au final, à la
même chose. Ils veulent appliquer la charia dans un pays mul-ticonfessionnel. Cela est
impossible. Les Frères musulmans croient qu’on peut faire chuter le régime en armant les
rebelles qui affrontent une armée suréquipée. Ils n’ont pas une vision réaliste de la situation.
Je ne suis pas contre la légitime défense, mais la course aux armes s’est toujours faite au détriment 
des civils. En reproduisant les discours des islamistes, Sabra se décrédibilise.

Quelles sont les revendications de votre parti, le Mouvement de la société pluraliste ?

Nous voulons, avant tout, sortir de l’impasse actuelle, non par la violence, mais par des moyens
politiques. Le régime ne doit pas être réduit au clan Assad. Il existe des personnes avec qui il est
possible de négocier, que ce soit au sein de l’armée ou de l’administration. Nous souhaitons
l’instauration d’un régime laïc, qui respecte les droits de l’homme et la démocratie. Il devra être
fondé sur le partage des pouvoirs entre toutes les communautés. C’est dans cette perspective
que nous établissons des contacts avec des minorités telles que les chrétiens, les druzes ou les
alaouites. Elles représentent tout de même 35 % de la population !

Un partage des pouvoirs selon le modèle libanais ?

Je ne crois pas à ce type de partage. D’ailleurs, le Liban connaît toujours des affrontements entre
confessions. Par partage des pouvoirs, j’entends l’adoption d’une constitution qui garantisse
l’accès de toutes les communautés au pouvoir, par l’élection. Ensuite, je suis pour une
décentralisation administrative de la Syrie, non pas en fonction des communautés, mais
géographique. Cela permettrait aux Kurdes d’obtenir une certaine autonomie, tout en étant
rattachés à la Syrie.

Le 12 novembre 2012, la Coalition nationale syrienne de l’opposition et des forces révolutionnaires a été créée à Doha. Pourquoi votre mouvement n’y a-t-il pas adhéré ?

Nous sommes en désaccord total avec son document fondateur qui prévoit de détruire toutes les
institutions qui existent, notamment l’armée. Le régime actuel ne doit pas être réduit au clan
Assad. Se diriger dans cette voie reviendrait à reproduire l’erreur commise par les Américains en
Irak. Nous souhaitons réduire le pouvoir de l’appareil sécuritaire et des services de
renseignements, mais certainement pas tout détruire.

Que pensez-vous du « parrainage » de cette coalition par le Qatar ?

Il n’a fait qu’utiliser cette coalition. Le Qatar a joué un rôle négatif en armant les rebelles et en
imposant cette coalition comme seul interlocuteur de la communauté internationale. Il a dicté ses règles et ses codes. Il tente d’étendre son influence dans le Moyen-Orient, en armant les islamistes. C’est d’ailleurs ce qu’il a fait en Libye.

Quelle est l’audience de votre formation en Syrie ?

Elle est difficile à mesurer car le mouvement est encore très jeune. Nous avons un bureau à
Qamishli, une ville kurde au nord-est, et nous sommes en train d’en ouvrir un autre à Damas. Le
mouvement collabore aussi avec les comités locaux de Deraa. Le nombre d’adhérents augmente
régulièrement, notamment dans les minorités. Les membres du comité administratif sont répartis
en Syrie, en Égypte, au Liban et en France.

Quelles sont vos relations avec la communauté internationale ?

Nous tentons en permanence d’établir des liens avec la communauté internationale. J’ai des
contacts au ministère des affaires étrangères. Le problème de la diplomatie française est qu’elle
mène une politique rigide. Elle n’accepte de dialoguer qu’avec la coalition dont elle a été un de
ses premiers soutiens. L’accueil de l’ambassadeur de cette coalition, par le gouvernement
français, est d’ailleurs contraire au droit international. Un État ne peut reconnaître deux
ambassadeurs. Le fait que l’ambassadrice officielle ait été renvoyée ne change rien. La coalition
n’est pas l’État syrien.
Les Américains et les Anglais ont une position plus modérée car ils acceptent le dialogue avec les
autres forces d’opposition. Les États-Unis commencent à comprendre que la politique de la
coalition ne fonctionne pas, car elle n’a aucun contrôle sur les rebelles et ne parvient pas à parler
aux minorités.

Parmi ces minorités, se trouvent des chrétiens. Quelle est leur situation aujourd’hui ?

Ils redoutent bien sûr la montée de l’islamisme. Je crois que leurs craintes peuvent être
renforcées par le fait que les extrémistes, qui sont en première ligne, sont prêts à sacrifier leur
vie. Le danger est que la population se sente protégée par ces derniers, alors qu’ils ne meurent
pas pour la protéger, mais uniquement pour devenir des martyrs. Mais les Syriens, en eux
-mêmes, ne sont pas pro-islamistes.

À quoi aspirent les chrétiens pour l’avenir ?

Ils veulent d’abord être en sécurité. Après la chute du régime, ils souhaiteraient aussi participer
au gouvernement et, entre autres, faire abroger l’article 3 de la Constitution qui prévoit que le
président de la République doit être musulman. Ils ne veulent plus seulement être protégés, mais
aussi prendre part à la vie publique.

Reference : Lutter pour un avenir laïc

http://www.reforme.net/journal/02212013-3501/actualites/monde/lutter-avenir-laic

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