kernews                  18/02/2015

Randa Kassis est une femme au courage exceptionnel. Elle est la fondatrice du Mouvement de la société pluraliste en Syrie et elle a obtenu un siège au Conseil national syrien (CNS), au nom de la Coalition laïque syrienne. Mais elle en a été exclue, pour avoir été la première à évoquer la menace islamiste au sein de l’opposition syrienne. À l’époque, personne ne voulait l’écouter… Aujourd’hui, les faits démontrent qu’elle a eu raison avant tout le monde. Or, bien qu’elle soit une opposante à Bachar el-Assad, elle ne préconise plus son départ – du moins dans le contexte actuel – mais la mise en place d’un gouvernement d’union nationale, afin d’éviter la prise de Damas par les islamistes.

Randa Kassis vient de publier, avec Alexandre del Valle, essayiste et consultant en géopolitique, « Le Chaos Syrien, printemps arabes et minorités face à l’islamisme ». L’ouvrage est passionnant, car les auteurs démontrent que le chaos syrien est devenu l’épicentre d’un conflit globalisé qui oppose à la fois les musulmans sunnites aux chiites, et le nationalisme arabe à une utopie califale aux ambitions planétaires. Il existe des solutions pour lutter contre le « totalitarisme vert », mais il convient de faire preuve de pragmatisme et surtout de connaissance de cette menace. Randa Kassis était l’invitée de Yannick Urrien vendredi 13 février sur Kernews 91,5 FM. C’est un entretien exceptionnel et exclusif qu’elle a accordé à Yannick Urrien pour Kernews et La Baule+.

« Le Chaos Syrien, printemps arabes et minorités face à l’islamisme » de Randa Kassis et Alexandre del Valle est publié chez Dhow Editions.

Extraits de l’entretien:

 Kernews : Il y a encore peu de gens qui connaissent bien le monde arabe et une majorité de l’Occident s’attache encore à des caricatures…

 Randa Kassis : Oui, parce que certains experts voient le monde arabe à leur façon. Ils ont une vision particulière de ce monde arabe, ils se présentent comme experts, mais ils n’ont pas trop cherché dans ce monde complexe… Ces peuples ne sont pas tous arabes et ces sociétés sont très différentes. À l’inverse, certains Arabes parlent de l’Occident comme si c’était un seul pays, une seule culture et une seule histoire. Donc, on ne peut pas parler d’un monde occidental ou d’un monde arabe.

Dans votre livre, vous rappelez l’histoire de la Syrie afin de nous permettre de comprendre pourquoi cet Etat ne peut pas être présenté comme un pays arabe et musulman…

Il y a une identité pluraliste qui est liée à l’histoire de la Syrie et je souhaite défendre toutes les identités qui se trouvent en Syrie. Pour comprendre la complexité de cette société, il faut rappeler que la conquête musulmane est en réalité une invasion pour certains peuples, comme le peuple kurde, assyrien ou syriaque. La Syrie, ce n’est pas une majorité et des minorités, mais des peuples qui sont là depuis des milliers d’années, qui ont été envahis par les musulmans, et l’identité de ces peuples a été effacée. C’est pour cette raison que je suis pour un État fédéral afin de préserver l’identité de chaque peuple qui se trouve en Syrie. Il ne faut pas oublier qu’il n’y a pas une majorité dans ce pays, mais seulement des minorités.

Vous reprochez à Bachar el-Assad de ne pas avoir su saisir l’opportunité du printemps arabe pour s’ouvrir au monde et au pluralisme. Pourtant, avec sa femme, il semble être assez occidentalisé. Pourquoi a-t-il raté ce rendez-vous avec l’histoire ?

À vrai dire, je ne suis pas sûr qu’il soit très occidentalisé… Ni même son épouse, qui est née en Angleterre, c’est vrai, mais qui est issue d’une famille sunnite syrienne. Elle a commencé à apprendre l’anglais à l’école, cela veut dire qu’elle a d’abord appris l’arabe. Elle a baigné dans un environnement très syrien sunnite. Les apparences sont parfois trompeuses… Je crois qu’ils ont une perception peu ouverte du monde, avec une culture très orientale. Le problème de Bachar el-Assad, ce n’est pas d’être le fils de Hafez, c’est le problème de la culture orientale et syrienne qui est basée sur la religion. On ne peut pas parler de changement sans parler d’un changement de culture et de mentalité, en s’ouvrant sur les autres et sur la perception de chaque individu. C’est un chemin de longue haleine, avec des priorités pour chaque étape. Aujourd’hui, je ne sais pas quel est le pourcentage de la population syrienne qui veut le départ de Bachar el-Assad. Personnellement, je le souhaite, mais j’estime que l’on ne peut pas demander cela aujourd’hui, face à la montée des islamistes. Nous voyons tous les atrocités de ces islamistes de Daesh ou d’Al-Nosra et certains continuent de nous parler d’un islamisme modéré ! Pour moi, l’islam modéré, cela n’existe pas puisque l’objectif d’un islamiste est d’instaurer un État islamique, avec la charia et toutes les atrocités… Donc, islam modéré ou islam radical, le chemin reste le même…


Vous avez créé votre parti politique, le Mouvement de la société pluraliste, et vous avez été membre du Conseil national syrien. Or, bien que vous soyez dans l’opposition, vous estimez que ce n’est pas le moment de faire partir Bachar el-Assad…

Ce n’est pas le moment. Cela ne veut pas dire que nous n’allons pas travailler pour demander son départ, mais pas maintenant. La difficulté, c’est que l’on s’est trop concentré sur Bachar el-Assad, en oubliant le vrai problème : le vrai problème, c’est la montée des islamistes. On a voulu fermer les yeux sur le financement de certains pays, comme les pétromonarchies et la Turquie qui ont soutenu les membres de Daesh. Il ne faut pas oublier que la Turquie les a laissé passer pour aller faire le djihad en Syrie. Nous avons fermé les yeux, parce que certains ont fait du départ de Bachar el-Assad une affaire personnelle. Certainement, au début, je voulais le départ de Bachar el-Assad. Mais quand j’ai vu que les islamistes arrivaient, j’ai décidé de dire non afin d’éviter le chaos. Or, c’est le chaos aujourd’hui. J’estime que le changement ne pourra être que progressif en Syrie.

Vous avez obtenu un siège au Conseil national syrien et, pour avoir déclaré ce que vous venez de nous dire, vous en avez été exclue… Finalement, vous avez eu le tort d’avoir eu raison avant tout le monde…

Je suis très attaquée encore, parce que je soutiens la solution politique. J’ai participé au Forum de Moscou et j’ai pu observer que certains ne voulaient pas de solution politique, en insistant sur la solution militaire. Certains demandent que l’on bombarde Bachar el-Assad afin de faire chuter radicalement le régime. Malheureusement, je considère que nous aurions une situation encore plus chaotique que celle que nous connaissons aujourd’hui et nous allons voir flotter le drapeau noir sur le palais présidentiel de Damas. Nous n’avons pas d’alternative. Il faut avoir le courage de reconnaître son erreur et s’orienter vers une solution pour sortir de cette impasse.

Si l’on en arrive à cette conclusion, c’est aussi parce que nous avons eu l’exemple de l’Irak avec la chute de Saddam Hussein…

Et la Libye aussi ! La situation est très chaotique en Libye et l’histoire montre que ce n’est pas de cette manière que l’on peut obtenir un changement de régime.

Revenons à cet islam dit modéré dont on nous parle tant en France. Vous estimez que partout où ils ont été au pouvoir, en Tunisie, au Maroc ou en Égypte, les islamistes modérés n’ont pas donné de résultats flamboyants…

Mais que signifie l’islam modéré ? C’est comme parler de la charia modérée ?

 Il ne viendrait à l’idée de personne de parler du nazisme modéré ou du communisme modéré, dites-vous aussi…

Tout-à-fait ! Le problème, c’est que les journalistes répètent cela en permanence. Personnellement, je ne crois pas en l’islam modéré. On voit bien ce qui se passe en Turquie aujourd’hui. Istanbul est devenu la capitale de l’islam modéré et l’on entend Erdogan expliquer que les femmes doivent rester à la maison pour procréer ! Moi, je pense qu’un islamiste modéré a le même but qu’un islamiste radical, c’est simplement le moyen qui change.

Vous êtes la femme politique qui pourrait jouer un rôle demain en Syrie. Vous avez le courage de dire que le pouvoir actuel ne vous plaît pas, mais que ceux qui pourraient venir à sa place seraient encore pires… Alors, comment allez-vous vous organiser ?

Je travaille avec d’autres opposants et nous avons eu des entretiens à Moscou avec le régime de Damas. J’ai défendu l’idée d’avoir des discussions sans conditions préalables, puisque ma stratégie consiste à aller doucement, avec des priorités pour chaque étape. Pour la première étape, nous avions évoqué l’idée de faire un geste sur l’humanitaire. Nous sommes en attente et nous allons voir ce que va faire ce régime. Ensuite, si nous observons un geste, nous allons continuer les discussions et nous allons évidemment aborder la question d’un gouvernement de transition ou d’un gouvernement de réconciliation. Dans notre stratégie, nous avons évidemment besoin de l’armée régulière syrienne, avec les combattants kurdes, pour combattre les islamistes radicaux.

Donc, vous pourriez avoir un point d’entente avec Bachar el-Assad et être ministre dans un gouvernement d’union nationale ?

Je ne sais pas… De Bachar el-Assad, je n’en sais rien, mais d’un gouvernement de transition, effectivement. Je pourrais effectivement jouer un rôle politique en Syrie.

La transition et la réconciliation, cela ne passe pas par la violence : il faut trouver une porte de sortie honorable à Bachar el-Assad et éviter le scénario de la violence ou de la pendaison, car on sait très bien que tout cela se terminerait dans un bain de sang généralisé…

Tout-à-fait. Quand certains rebelles armés ont soutenu une solution de violence pour faire chuter Bachar el-Assad, nous avons vu que le pays s’est enfoncé dans un bain de sang. La priorité, c’est d’éviter cette effusion de sang et rétablir la paix. Rétablir la paix, ce n’est pas se contenter de répéter quelques mots d’amour, mais avoir un processus politique avec les combattants et l’armée syrienne régulière, afin de combattre les islamistes et les exterminer.

Exterminer, c’est un mot très dur…

Parfois, il faut être dur ! Nous avons un ennemi commun : face à un extrémiste de Daesh qui brûle un pilote jordanien vif, nous devons être fermes et durs.

Que vous répondent les politiques avec lesquels vous êtes en contact ?

Je suis surtout en contact avec des politiques américains et russes. Les Russes ne soutiennent pas Bachar el-Assad les yeux fermés, ils soutiennent d’abord un État. Ils sont d’accord pour un changement, mais ce changement doit être progressif. Les Américains n’ont aucun intérêt à ce que le régime chute aujourd’hui. Tout le monde a compris qu’il fallait y aller progressivement, en conservant les institutions de l’État et de l’armée syrienne.

Enfin, dans votre livre, vous rappelez ce qu’est la Taqiya qui est dans le Coran : il s’agit de l’art de la dissimulation. Concrètement, quand on n’est pas encore en position de force dans un État, on fait semblant de se plier aux règles de l’adversaire afin de préserver sa place en attendant des jours meilleurs…

Oui et ces islamistes dits modérés, je peux les qualifier de champions de Taqiya !

 

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