LE FIGARO           17/03/2015

Alors que les États-Unis semblent prêts à négocier avec Damas, l’opposante laïque syrienne se réjouit du dialogue intersyrien déjà initié par le gouvernement russe. De décembre 2011 à août 2012, Randa Kassis a été membre du Conseil national syrien en tant que représentante de la mouvance laïque et démocratique, avant d’en être écartée. Elle préside désormais le «Mouvement pour la société pluraliste».

– Le secrétaire d’État américain, John Kerry, a déclaré dimanche que pour ramener la paix en Syrie, il faudra bien finir par parler avec Bachar el-Assad. Qu’en pensez-vous?
– Si cette vision est confirmée, elle fait preuve de réalisme et de pragmatisme. C’est tout à l’honneur de John Kerry. Qu’on le veuille ou non, Assad est une force existante sur le terrain. Il fait partie du problème mais aussi, bien évidemment, de la solution. Cette position du département d’État le rapproche quelque peu de celle de la Russie sur le conflit syrien.
En effet, la diplomatie russe a initié à Moscou, du 26 au 29 janvier 2015, un dialogue intersyrien entre le régime de Bachar el-Assad et des opposants non islamistes. L’idée est de substituer à la guerre une solution politique négociée.

-Vous avez participé, sur les bancs de l’opposition, à ce premier round de discussions. Quel en a été le bilan?
Le premier point positif fut que, pour la première fois, un dialogue direct a été institué entre opposants et représentants du régime. Lors des fameuses discussions de «Genève 2» des mois de janvier et février 2014, le dialogue n’était qu’indirect, car chacun s’adressait au représentant spécial de l’ONU et de la Ligue arabe, Lakhdar Brahimi. Le deuxième point positif fut que les trente-deux représentants de l’opposition et les six diplomates missionnés par le régime (dont la délégation était présidée par Bachar Jaafari, ambassadeur de Syrie à l’ONU) ont tous été d’accord sur la nécessité de poursuivre l’exercice. La reprise des discussions se fera d’ailleurs le 6 avril, toujours à Moscou, et toujours pour quatre jours. Troisième point positif, le régime a accepté notre demande et la demande des Russes de libérer le fameux opposant laïc Louay Hussein, qui avait été arrêté le 13 novembre 2014. En Syrie, les Russes représentent un espoir.

-Alors que Moscou n’a cessé d’armer le régime depuis le début des manifestations en mars 2011, n’est-on pas en droit de douter de la sincérité de sa médiation?
C’est précisément parce que la Russie est l’alliée du régime de Damas qu’elle est la mieux placée pour le convaincre de modifier sa ligne intransigeante! La confiance ancienne qui existe entre Moscou et Damas et la dépendance militaire et partiellement financière du régime à l’égard de la Russie donnent un poids particulier au Kremlin dans toute solution politique qu’il viendrait à soutenir. En un mot, dans cette crise, les Russes sont incontournables.
Quels peuvent être les buts ultimes de cette initiative russe?
L’avantage des Russes, c’est qu’ils sont pragmatiques. Ils ne se bercent pas d’illusions. Ils savent qu’on ne ramènera pas la paix tout de suite et partout. Ils privilégient une approche par étapes et par régions.

-De quelles régions voulez-vous parler?
Il faut déjà trouver un accord entre régime et opposants non islamistes et raisonnables sur toutes les zones contrôlées par le régime. Cet accord doit déboucher sur un gouvernement de réconciliation nationale, où Bachar peut jouer éventuellement un rôle de transition. Ce nouveau gouvernement définira qui sont ses alliés, et qui sont ses ennemis, afin d’exterminer les islamistes radicaux. Les Kurdes du PYD sont des alliés naturels dans cette lutte: ils ont démontré dans la bataille de Kobané leur bravoure et leur efficacité.

-Et que fait-on de la région d’Alep?
Le représentant spécial du secrétaire général des Nations unies, Staffan de Mistura, a l’ambition de créer une situation de gel du front et de cessez-le-feu autour d’Alep. Tous les opposants qui avaient fait le voyage de Moscou sont partisans d’appuyer la mission de M. de Mistura, afin de soulager les souffrances de la population civile.

-Est-il réaliste de créer cette situation de cessez-le-feu si la Turquie continue à laisser passer les djihadistes?
Il serait temps que la Turquie définisse sa position. Est-elle l’alliée ou l’ennemie de l’Occident? Jusqu’à présent, elle a mis des bâtons dans les roues de toute solution de paix ; elle a soutenu militairement et financièrement les djihadistes de l’État islamique. Elle a joué l’apprenti sorcier, tant elle est obsédée par la question kurde et par son souci de restaurer l’influence ottomane ancienne. Erdogan n’est guère moins qu’un islamiste radical. Sous son allure respectable, on a cru à sa modération. La vérité c’est qu’il veut instaurer un État islamique en Turquie. Il est passé d’ailleurs du stade de la dissimulation (la traditionnelle taqiya musulmane) à l’exposition arrogante de ses idées.

-Pensez-vous, contrairement au gouvernement français, qu’il faille associer l’Iran à la résolution de la crise syrienne?
Il y a deux ans, Laurent Fabius s’était opposé à la venue d’une délégation iranienne à la première conférence de Genève sur la Syrie. Aujourd’hui, les opinions sont diverses à Paris. De plus en plus de politiques et de diplomates estiment qu’il faut prendre les réalités telles qu’elles sont et donc associer à terme l’Iran à la résolution de la crise syrienne.

-Pourquoi à terme?
Il y a des étapes à respecter. Un, le régime doit obtenir un accord de réconciliation. Deux, il doit le faire valider par l’ONU. Trois, l’Iran doit être intégré à des discussions avec ce nouveau gouvernement transitoire. Quatre, mettre les pétromonarchies du Golfe et la Turquie face à leurs responsabilités.

-En août 2012, vous avez été éjectée du Conseil national syrien (CNS), organisation que le gouvernement français reconnaît comme seul représentant légitime du peuple syrien. Que s’est-il passé?
J’ai pris conscience des exactions commises par des rebelles armés contre la population. J’ai aussi dénoncé dès le début de l’année 2012 le risque djihadiste au sein de l’opposition armée. La majorité des membres du CNS ont qualifié de «farfelue» mon analyse. À l’époque je prêchais dans le désert. Il faut voir que tout le Quai d’Orsay, la grande majorité des médias et des think-tanks se sont bercés d’illusions en croyant en la chute imminente du régime et en la réalité de l’influence sur le terrain du Conseil national syrien. Ce Conseil qui s’est transformé ensuite en «Coalition» n’a jamais eu de vraie crédibilité sur le terrain. Il ne fédérait que les Syriens de l’étranger, exilés depuis des décennies, pour la plupart sous l’influence du Qatar, de l’Arabie saoudite et du Koweït. Toutes les armes que la France lui a fournies ont été aussitôt volées ou vendues aux islamistes les plus radicaux.

 

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