L’HEBDO BOURSE                       27/11/2015

Randa Kassis, présidente du Mouvement de la société pluraliste syrienne : « C’est le travail des musulmans qui prétendent être modérés de réformer le Coran. »

Randa Kassis est une figure de l’opposition syrienne. Présidente du Mouvement de la société pluraliste, elle a été membre du Conseil national syrien avant d’en être exclue à la suite de ses déclarations médiatiques sur la montée en puissance des islamistes et des djihadistes. Randa Kassis a écrit un livre avec Alexandre Del Valle, «Le Chaos Syrien », qui est sorti l’année dernière. Elle commente pour nous la situation de la Syrie.

L’Hebdo-Bourseplus : Comment analysez-vous les événements actuels ?

Randa Kassis : Les événements sont évidemment liés. Si nous parlons des actes terroristes à Paris, ou ailleurs, c’est un résultat attendu, après une politique ratée de la part de plusieurs pays. Je suis d’accord pour changer les dictateurs et les régimes dictatoriaux, mais il faut préparer l’alternative. En Irak, l’alternative n’a pas été préparée. En Libye, rien n’a été préparé. Et c’est la même chose en Syrie, où l’alternative n’est pas préparée. La position de certains pays ne bouge pas. Par exemple, la Coalition nationale syrienne est soutenue et manipulée par la Turquie, l’Arabie Saoudite et le Qatar : la Coalition ne peut représenter que ces pays. Ni l’opposition syrienne, ni une partie de la population syrienne. Nous observons que la politique française, dirigée par Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères, n’a pas bougé. Je suis tout à fait d’accord pour dire que le régime syrien est un régime autiste, mais il n’est pas le seul à être autiste : à vrai dire, il y a d’autres pays qui sont autistes et qui sont, pour moi, coresponsables de tout ce qui arrive en Syrie.

On accuse ce régime de ne pas être fréquentable, mais on n’a aucun problème de conscience avec l’Arabie Saoudite et le Qatar, où une partie de la population est en esclavage…

C’est pour cette raison que je suis très étonnée que la France ait accepté de s’aligner sur la position de l’Arabie Saoudite et de la Turquie. Le Qatar est moins en avant. Je trouve scandaleux que les Américains poussent l’Arabie Saoudite à organiser une réunion pour rassembler les opposants syriens. C’est scandaleux d’autoriser un pays qui finance les terroristes, car l’Arabie Saoudite n’est pas mieux que Daech ! Daech décapite des têtes, l’Arabie Saoudite aussi ! Daech mène des exécutions, on le voit aussi en Arabie Saoudite ! Ces gens portent une pensée totalitaire, qui ne respecte pas l’autre et qui veut exécuter tout être humain qui ne correspond pas à leurs pensées. Jusqu’à aujourd’hui, les Etats-Unis, qui affirment chercher à installer une démocratie en Syrie, poussent l’Arabie Saoudite à prendre cette décision sur l’avenir de la Syrie. Je trouve que c’est scandaleux ! Ma position est très claire : chaque opposant qui lutte pour sortir de cette guerre, afin de construire un pays pluraliste, doit boycotter la réunion de l’Arabie Saoudite. On sait que l’Arabie Saoudite va manipuler certains opposants.

Demander à l’Arabie Saoudite d’organiser une conférence sur l’avenir démocratique de la Syrie, c’est comme demander à Al Capone de le faire contre le crime organisé…

C’est comme si l’on demandait à Al-Baghdadi d’organiser une réunion pour rassembler les opposants ! Pourquoi pas, tant que l’on y est ?

Vous êtes écoutée par les Russes. Où en êtes-vous ?

Nous sommes toujours en discussion avec eux. Je suis certaine que les Russes veulent trouver une sortie à cette guerre. Ils veulent lancer le processus politique, ils veulent trouver une vraie solution. Mais ce serait une solution progressive en respectant les étapes. Si nous arrivons à lancer cette solution politique, nous pourrons rassembler quelques Syriens, avec le régime et quelques opposants, afin d’établir un gouvernement de coalition, une sorte d’union nationale. Ce qui est important, c’est de changer la Constitution. Nous ne cherchons pas simplement à faire chuter une personne, nous cherchons surtout à établir une Constitution laïque qui respecte la pluralité de ce pays. C’est toute la différence entre nous et certains pays. Certains ne veulent que faire chuter Bachar el-Assad, parce que c’est devenu un règlement de comptes personnels. Nous cherchons à changer cette Constitution et à bâtir un pays laïc qui respecte la pluralité.

Comment se fait-il que certains pays préfèrent laisser Daech conquérir des kilomètres carrés, plutôt que de discuter avec Bachar el-Assad ?

Je ne peux pas expliquer cela, c’est psychologique… Si quelqu’un insiste avec une position, il devient autiste, parce qu’il n’arrive plus à reculer ou à faire marche arrière, ni à voir la situation telle qu’elle est. C’est devenu une affaire personnelle. Certains pays ont sous-estimé Bachar el-Assad et ils ne veulent pas reconnaître cela. Nous commettons tous des erreurs, mais il faut parfois regarder les erreurs et faire en sorte de trouver une autre position plus flexible. C’est ce que l’on appelle l’adaptation, c’est l’intelligence que de s’adapter. Malheureusement, ces personnes ou ces gouvernements qui insistent n’ont pas l’intelligence de s’adapter, puisqu’ils n’ont aucune flexibilité. Pour certains Syriens qui vivent en Europe ou ailleurs, mais pas en Syrie, il est très facile d’avoir des slogans mais, malheureusement c’est le peuple syrien qui paie.

Que dites-vous aux Français qui, malgré les récents attentats, sont encore dans un esprit très angélique, comme après le 11 janvier…

Je suis d’accord avec le président Hollande quand il a dit que c’était un acte de guerre, car nous sommes en guerre. Il faut arrêter d’être angélique. Il est très facile de dire qu’il ne faut pas faire d’amalgame entre l’islam et les radicaux, mais les radicaux s’inspirent quand même de certains versets du Coran ! Donc, c’est le travail des musulmans qui prétendent être modérés de réformer le Coran. Le Coran a besoin d’être réformé. Sinon, dans deux ou trois siècles, on aura toujours des radicaux. Il y a toujours eu des groupes terroristes radicaux pour égorger les chrétiens et d’autres minorités, avec ce rêve d’envahir d’autres pays non musulmans. Il faut arrêter cela et pousser les musulmans à réformer leur Coran. Après, quand l’islam sera réformé, on pourra dire qu’il ne faut pas faire d’amalgame. Mais pas avant la réforme.

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