L’Orient Le Jour                   18/06/2016

Le 25 mai, le vice-ministre russe des Affaires étrangères Mikhaïl Bogdanov s’est entretenu avec les membres du Conseil de coopération du Golfe (CCG) et a salué à cette occasion le dialogue constructif avec ses homologues. De son côté, le ministre saoudien des Affaires étrangères Adel al-Jubeir a rappelé la volonté de Riyad de renforcer les relations avec Moscou. Dans un contexte où le processus diplomatique est gelé, un infléchissement de la position saoudienne et une convergence ponctuelle avec Moscou pourraient favoriser une nouvelle initiative russe, comme alternative à Genève. Randa Kassis, représentante de l’opposition laïque syrienne, revient à travers cet entretien sur le rôle-clé de Moscou pour sortir de l’impasse des négociations.

Aujourd’hui le processus de Genève est moribond, et il est fort à parier que la date butoir pour la relance des pourparlers ne sera pas tenue. Y a-t-il un processus alternatif qui prend forme ?

Il n’y a pas encore d’alternative claire à Genève. Le processus est bloqué en raison de l’attitude de certains acteurs régionaux qui refusent l’approche constructive, et l’inconséquence de la délégation de Riyad qui, tout en participant à Genève, refuse d’aplanir les obstacles au dialogue. Cette situation de blocage est l’illustration la plus éloquente de la perte d’influence des États-Unis sur leurs alliés régionaux. Ils ne sont plus en mesure d’imposer leurs conditions à leurs alliés saoudien et turc. La volonté du président américain Barack Obama de parvenir à un accord avec les Russes pour amorcer un processus politique efficace a été mise à mal sous l’effet des contradictions internes à la gestion américaine de cette crise. Seul Moscou semble encore en mesure d’imposer un changement progressif mais radical sur ce dossier.

Quel est l’état des relations russo-américaines depuis la remise en cause du deal entre Moscou et Washington pour une solution politique à la crise syrienne ?

Lorsque Barack Obama a décidé de s’impliquer sur ce terrain, avec une volonté réelle de séparer le dossier ukrainien et la question nucléaire du traitement de la crise syrienne, c’est le département d’État qui s’est opposé à tout accord avec les Russes. Une partie de cette administration américaine est alignée sur les positions radicales d’Ankara et de Riyad et défend la doctrine de la guerre d’usure. On accepte le principe de la négociation mais on pose un ensemble de conditions préalables. Les Américains ne semblent donc toujours pas avoir compris comment les Russes fonctionnent et leur méthode de travail. L’approche globale des États-Unis vis-à-vis de la Russie n’a pas changé : il s’agit d’une politique agressive malgré la volonté d’une partie de l’administration de débloquer la situation par la politique des petits pas. Sur le dossier syrien, Washington soutient les mesures de rétorsion économiques contre Moscou décrétées le 29 juillet 2014, et régulièrement prolongées depuis, mais c’est l’Union européenne qui subit les conséquences de cette situation de crise puisqu’en retour, la Russie a répondu à ces sanctions en adoptant des restrictions qui prévoient un embargo sur une large quantité de produits agroalimentaires européens.

Les Russes ont-ils aujourd’hui les moyens de débloquer la situation sans le soutien actif de Washington?

Oui, parce qu’indéniablement, la Russie est en position de force. Sur le plan opérationnel, ils ont renforcé leur présence en Syrie et sont les seuls à pouvoir exercer des pressions efficaces sur le régime syrien afin qu’il propose des réformes susceptibles de ménager une sortie de crise. Les Russes pourraient faire avaliser une solution par l’Onu, si les Européens se ralliaient à la position de Moscou pour sortir de l’impasse. Les États-Unis mènent un double jeu sur ce terrain, et ne peuvent plus faire confiance à leurs alliés traditionnels. Ils savent qu’une convergence entre Moscou et Riyad est aujourd’hui tout à fait possible.

Justement, la rencontre entre Mikhaïl Bogdanov et ses homologues du CCG augure d’un rapprochement entre Riyad et Moscou. Un accord sur le dossier syrien peut-il intervenir dans les prochains mois ?
Oui, les divergences de fond entre Moscou et Riyad n’excluent pas un rapprochement dans les semaines à venir qui serait déterminant pour trouver une issue politique à cette crise. Rappelons que pour Riyad, c’est d’abord une affaire de personne, les Saoudiens étant inflexibles sur la question du départ inconditionnel de Bachar el-Assad. Ils redoutent également la politique de Téhéran et son influence grandissante dans la région. Or l’intervention russe en Syrie s’est faite également au détriment de l’Iran et les contradictions russo-iraniennes sont réelles. Néanmoins, Moscou peut pondérer le conflit entre les deux et trouver un équilibre entre les ambitions régionales iraniennes et saoudiennes. Si les Russes offrent des garanties suffisantes à Riyad, une évolution de la situation est tout à fait probable. Le principal adversaire reste la Turquie et l’expansionnisme néo-ottoman d’Erdogan.

http://www.lorientlejour.com/article/988509/-seul-moscou-semble-encore-en-mesure-dimposer-un-changement-en-syrie.html