Le Monde                 17/03/2016

Les spéculations sur l’intégration d’une deuxième délégation de l’opposition aux négociations de paix intersyriennes ont été relancées à Genève. Mercredi 16 mars, des opposants syriens soutenus par Moscou ont annoncé qu’ils seraient reçus en qualité de négociateurs par l’envoyé spécial des Nations unies pour laSyrie, Staffan de Mistura, en fin de journée. Cette perspective, exclue par la délégation de l’opposition emmenée par le Haut Comité des négociations (HCN), et par ses soutiens, avait été écartée lors du premier round de pourparlers, fin janvier. La mise au point, mercredi, de Ramzy Ezzedine Ramzy, l’adjoint de l’émissaire onusien, qui a précisé qu’ils étaient reçus en tant que « participants consultés sur l’avenir de la Syrie », n’a pas levé tous les doutes.

  • Une demande de Moscou

La coïncidence de cette invitation avec l’annonce par la Russie du retrait partiel de ses troupes en Syrie suscite des interrogations dans les couloirs du Palais des nations. M. de Mistura est-il en train d’imposer lentement l’idée d’une deuxième délégation ? Washington cèdera-t-il à cette demande de Moscou en échange d’un investissement plus marqué en faveur d’une solution politique concertée ? A Washington, cette perspective est pour l’instant totalement exclue. Mais la question devrait être au menu des échanges entre le secrétaire d’Etat américain, John Kerry, et son homologue russe, Sergueï Lavrov, à Moscou, la semaine prochaine.

Sous les pressions de la Russie, la résolution 2254 votée le 18 décembre 2015 au Conseil de sécurité n’avait pas reconnu la délégation du HCN, formée à Riyad, comme représentante exclusive de l’opposition. A la veille de la reprise des pourparlers de Genève, le 14 mars, M. Lavrov a une nouvelle fois insisté pour que toutes les tendances de l’opposition, dont les Kurdes du Parti de l’union démocratique (PYD), soient représentées. Mercredi, le chef de la délégation gouvernementale, Bachar Al-Jaafari, a exclu d’entrer dans des négociations substantielles sur la transition politique tant que la « question de la représentativité » de l’opposition ne serait pas réglée ; une manière indirecte defaire pression pour que soient intégrés les opposants proches de Moscou.

  • Des positions conciliantes envers le régime

Les positions qu’ils défendent affichent en effet une plus grande proximité avec la solution politique envisagée par Damas. Selon Randa Kassis, une opposante proche de Moscou, les propositions présentées mercredi à M. de Mistura incluent : un corps gouvernemental de transition comprenant des membres du régime et de l’opposition et le retrait de certaines prérogatives au président Bachar Al-Assad, qui resterait au pouvoir jusqu’à l’organisation d’élections présidentielle et parlementaires d’ici à dix-huit mois.

« Je n’ai aucune confiance dans le régime et dans sa capacité à s’ouvrir mais, j’ai confiance dans les Russes. Il existe au sein du régime une lutte entre un camp plus flexible, qui est prêt à des concessions, et un camp rigide », plaide MmeKassis. Elle dit avoir encore rencontré M. Lavrov à Moscou il y a trois jours, mais avoir rompu tout contact avec les Américains il y a trois mois. Mme Kassis plaide personnellement pour que les trois ministères régaliens que sont les affaires étrangères, l’intérieur et la défense soient partagés entre la présidence et le gouvernement, sans pouvoir dire si cette idée sera acceptée par les autres membres de son groupe.

  • Tractations sur la composition de cette délégation

La délégation qu’ils appellent de leurs vœux est en cours de constitution. Les neufpersonnalités reçues mercredi au Palais des nations sont issues de deux initiatives distinctes lancées respectivement par Moscou et Le Caire, en 2015, pour former des coalitions d’opposants alternatifs à la Coalition nationale syrienne (CNS), soutenue par le Groupe des amis de la Syrie – qui comprend entre autres l’Arabie saoudite, le Qatar, la Turquie, les Etats-Unis et la France –, et davantage disposés à un compromis avec le régime syrien.

L’expert russe sur le Moyen-Orient, Vitaly Naumkin, qui avait coordonné les conférences de Moscou, a d’ailleurs été nommé mardi comme conseiller par Staffan de Mistura. Mercredi soir étaient notamment présents l’ancien vice-premier ministre syrien Qadri Jamil, Fateh Jamous, Randa Kassis, Abbas Habib, Mazen Maghribiyé, Salim Kheirbek et Namroud Souleiman pour le groupe de Moscou, ainsi que Jihad Makdissi et Firas Khalidi pour le groupe du Caire. Les autres membres du groupe du Caire n’ont pas encore confirmé leur participation.

  • Controverse sur la participation des Kurdes syriens

Le militant des droits de l’homme syrien Haytham Manna, qui copréside les Forces démocratiques syriennes, une coalition de forces kurdes et arabes dominée par le PYD, a, lui, suspendu sa participation tant que le PYD ne sera pas invité àparticiper aux pourparlers de Genève. Le refus opposé par la Turquie, qui le désigne comme groupe terroriste, s’est à ce stade imposé tant au HCN qu’aux vues des Etats-Unis et de la Russie, qui coopèrent avec ces milices kurdes sur le terrain. Bien que défendant officiellement une participation du PYD aux pourparlers, les Russes avaient suggéré en coulisses fin janvier, par la voix du vice-ministre russe des affaires étrangères, Guennadi Gatilov, de contourner ce refus en remplaçant les représentants du PYD par d’autres représentants kurdes acceptés par tous.

Pour Randa Kassis, le refus opposé aux Kurdes du PYD est l’une des raisons qui explique la décision annoncée jeudi par les Kurdes de Syrie de créer une « fédération démocratique » sur les régions qu’ils contrôlent dans le nord du pays.« Cette décision est prématurée, bien que je soutienne l’idée d’un fédéralisme en Syrie. L’erreur majeure a été d’exclure les Kurdes des négociations. C’est une façon de leur dire qu’ils ont le droit de fonder leur Etat », plaide-t-elle. Sa délégation est toutefois disposée à participer aux pourparlers de Genève en leur absence.

  • Rivalités avec la délégation du HCN

L’opposante laïque exclut en revanche de rejoindre une délégation du HCN élargie. « Je ne peux pas accepter de me soumettre à la direction de l’Arabie saoudite. Lorsque le HCN annoncera qu’il n’est plus sous la direction de Riyad, on pourra travailler ensemble », souligne Mme Kassis. Le HCN, pour sa part, qui compte déjà des Kurdes dans ses rangs, ne semble pas rejeter l’idée d’intégrer de nouveaux membres, dès lors qu’ils accepteraient la plateforme politique signée à Riyad en décembre 2015. C’est en substance ce qu’a suggéré mardi à Genève Mondher Makhous, l’un de ses porte-parole, qui a affirmé que sa délégation était disposée à une certaine « flexibilité » dans sa composition.

Il est en revanche hors de question pour le HCN qu’une deuxième délégation de l’opposition se joigne aux négociations. « La seule équipe de négociation qui peutreprésenter le peuple syrien est le HCN. Nous l’avons prouvé en permettant l’application de la trêve. Ce groupe ne représente pas les Syriens mais le régime », a commenté mercredi au Monde Salem Al-Meslet, porte-parole du HCN.

http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2016/03/17/a-geneve-des-opposants-syriens-proches-de-moscou-veulent-participer-aux-negociations_4885101_3218.html