Sputnik          16/03/2018

Nouvelle réunion à Astana pour la paix en Syrie. Un tel processus peut-il vraiment faire taire les armes dans ce pays déchiré par sept ans de guerre? Randa Kassis, femme politique syrienne, présidente de la plateforme d’Astana et opposante –vraiment– modérée au gouvernement de Bachar el-Assad, revient sur cette énième rencontre diplomatique.

Alors que Bachar el-Assad intensifie sa reconquête de la Ghouta orientale et que Damas continue à être bombardée par des djihadistes radicaux, alors que la ville d’Afrine, défendue par des Kurdes, est menacée par les forces d’Erdogan et des factions islamistes, les ministres des Affaires étrangères de la Russie, de l’Iran et de la Turquie se réunissent ce vendredi 16 mars à Astana.

Cette nouvelle réunion, dans un format inhabituel qui ne comprend pas les acteurs syriens ou les observateurs extérieurs, avait comme objectif de préparer le sommet des Présidents de ces trois pays le 4 mai prochain à Istanbul. Toutefois, dans la déclaration commune, les diplomates rappellent leur détermination dans la lutte contre tous les terroristes en Syrie et la mise en place de «zones de désescalade» sans mettre à mal la souveraineté du territoire syrien, qui reste une priorité:

​Initiant la plateforme d’Astana en 2015, où elle était parvenue à réunir plusieurs groupes d’opposants au régime de Damas dans la capitale du Kazakhstan, Randa Kassis, femme politique franco-syrienne, fondatrice et présidente du Mouvement de la société pluraliste et ancienne membre du Conseil national syrien, s’exprime au sujet de cette réunion diplomatique. L’ONU, les différents acteurs du conflit en Syrie, «les opposants», sont au centre de cet échange avec Sputnik, réalisé à la veille de la réunion.

Sputnik France: Pouvez-vous nous présenter la réunion d’Astana du vendredi 16 mars?

Randa Kassis: «Ce vendredi 16 mars, il y aura la rencontre des trois ministres des Affaires étrangères russe, turc et iranien pour préparer tout d’abord le sommet présidentiel le 4 mai, pour avancer sur le plan politique et militaire. Militaire équivaut à dire: préparer Astana 9.

Vous savez qu’en ce moment, vu la situation dans la Ghouta et dans d’autres zones comme Afrine, il est impossible d’envisager, d’organiser une rencontre entre le régime et les brigades armées qui sont dans ces zones. Pour cette raison, il est mieux de se préparer, mieux d’être coordonné par les trois pays garants pour arriver sur une solution d’abord sur le plan politique: c’est-à-dire le cessez-le-feu.
Le gouvernement a d’ailleurs entamé des discussions avec quelques brigades telles que l’armée de l’Islam Jaych al-Islam, pour mettre en application la dernière résolution qui demande le cessez-le-feu là-bas.

À ma connaissance aussi, depuis deux jours, il y a pas mal de blessés sortis de la zone de la Ghouta pour se soigner à Damas.

Même s’il y a d’autres observateurs d’autres pays en Syrie, la Russie, l’Iran et la Turquie sont les seuls qui peuvent garantir une avancée sur le plan politique et militaire. D’autres pays seront ou des observateurs ou seront là, tout simplement, pour dire qu’ils pèsent encore dans le dossier syrien. Mais, à vrai dire, les seuls pays qui pèsent aujourd’hui en Syrie et qui peuvent faire une avancée ce sont ces trois pays précédemment cités et spécialement la Russie.»

Sputnik France: Et qu’en est-il des États-Unis?
Randa Kassis: «Quant aux États-Unis, je ne les vois pas comme un pays garant de la paix ou comme un pays qui peut permettre une avancée de la paix ou d’une solution politique. Au contraire! C’est un pays qui, jusqu’à aujourd’hui, a toujours saboté pas mal de solutions. L’ONU aussi est incapable de faire quoi que ce soit. Nous avions bien vu qu’il y avait un échec à Genève en 2017 et même en 2018, où il n’y a même pas eu de rencontre entre le régime et une partie de l’opposition. Parce que l’ONU, malheureusement, écoute quelques pays occidentaux et notamment les États-Unis, qui ont pris une position depuis sept ans et qui ne veulent pas reculer. C’est-à-dire qu’ils continuent et qu’ils maintiennent leur erreur.»
Sputnik France: Que va-t-il ressortir de cette énième réunion, alors que la précédente à Sotchi n’avait pas été un succès, à l’instar de celle de Vienne en janvier dernier?

Randa Kassis: «Je ne suis pas d’accord. Au contraire, Stochi était un succès. Je sais que de nombreux médias, notamment en Occident, parlent de Sotchi comme d’un échec. Moi, je ne suis pas du tout d’accord. D’ailleurs, je fais partie de Sotchi et je suis membre de la commission présidentielle. Au contraire, sans Sotchi, Staffan de Mistura n’aurait jamais eu l’accord entre le régime et l’opposition, surtout une partie de l’opposition composée des quatre groupes d’opposition présents à Sotchi, pour former la commission constitutionnelle. Cela est un succès. Là où Staffan de Mistura a échoué, Sotchi a réussi. De plus, les points qui ont été présentés par Staffan de Mistura au régime, à Vienne, juste avant Sotchi et qui a été refusé par le régime, ont été acceptés par le régime lui-même à Sotchi.

Finalement, à chaque fois qu’il y a eu une avancée sous l’égide de la Russie, il a une hostilité en Occident qui veut transformer cela en échec. Et cela parce que les Occidentaux, jusqu’à aujourd’hui, ont la mentalité de la Guerre froide. Cette hostilité et ce sentiment de russophobie existe toujours malheureusement et c’est cela qui fait traîné les choses, ils ne veulent pas voir ce qu’il se passe réellement.
Personne ne croit que nous aurons une solution politique demain ou d’un seul coup. De toute façon, il faut avancer par étapes. Je l’ai toujours dit, je l’ai toujours cru. Et c’est pour cette raison que je crois que Sotchi était un succès et au contraire, c’est le début d’une solution politique.»

Sputnik France: Mais l’absence de certains opposants lors de la réunion de Sotchi ne peut-elle être considérée comme un échec?

Randa Kassis: «Au contraire, ce n’est pas un échec. Qui sont ces opposants? Et c’est cela l’erreur de l’Occident. […] Certains pays occidentaux et l’Arabie saoudite veulent les montrer comme des bons et les seuls représentants de l’opposition. Ce n’est pas vrai, ils n’ont même pas assez de membres. Ils ne représentent rien, ces opposants. Leur présence, pour moi, serait un échec, l’échec absolu.

Les pays occidentaux ne pourront arriver à aucune solution politique avec ces opposants pour maintes raisons. Tout d’abord, ces opposants ne sont pas indépendants, ils sont dépendants de leurs mentors. De plus, ces opposants ont toujours maintenu un seul discours et le même discours depuis huit ans, ils n’ont même pas évolué dans leurs têtes.
Je suis désolée, mais si je traite le régime d’autiste, ces “opposants” sont encore plus autistes que le régime.»

Sputnik France: La voie diplomatique est-elle vraiment un moyen de parvenir à la paix en Syrie, alors que les acteurs de ce conflit cherchent toujours à asseoir leurs positions? On pense notamment à Bachar el-Assad qui reconquiert la région de la Ghouta occupée par des djihadistes. On pense aussi aux pays du Golfe, aux États-Unis, à Israël, etc.

Randa Kassis: «Pour certaines personnes, Bachar el-Assad sort victorieux, mais ce n’est pas mon cas. Même s’il reprend la Ghouta, cela ne sera pas repris complètement et rapidement par le régime. […] Personne ne pourrait accepter les brigades qui sont dans la Ghouta, c’est-à-dire pas mal de monde d’Al Nosra, c’est-à-dire des djihadistes, des terroristes. De plus, ces personnes-là attaquent les civils à Damas qui est inacceptable aussi pour pas mal de pays et pas mal d’opposants. Nous avons besoin aussi de zones sécurisées en Syrie.

Donc si le régime reprend la Ghouta ou qu’une partie de la Ghouta, cela ne veut pas dire que le régime est prêt à faire la paix ou de faire partie d’un nouveau gouvernement. Aujourd’hui, il n’est pas capable, ne veut pas discuter pour une nouvelle rédaction d’une nouvelle Constitution en Syrie et c’est un problème parce que pour faire la paix, il nous faut deux parties qui soient d’accord pour au moins avancer.
Le régime n’en veut pas, une partie de l’opposition n’en veut pas non plus. Alors nous avons que quelques groupes de l’opposition, c’est-à-dire la plateforme d’Astana que je préside, la plateforme de Moscou, et deux autres courants politiques.

Oui, la voie diplomatique à vrai dire, peut aider, mais moi je compte plutôt sur la Russie pour imposer la rédaction d’une nouvelle Constitution. Et avant de parler d’un nouveau gouvernement, il faut d’abord commencer par rédiger une nouvelle Constitution pour la Syrie, pour se mettre d’accord sur un projet politique.»

Sputnik France: Comment se comporte l’ONU concernant la Syrie et les deux réunions d’Astana et de Vienne?

Randa Kassis: «L’ONU ne peut rien faire, parce qu’il y a un certain nombre de pays qui ne veulent pas changer leurs positions. Et tant que ces pays ne voudront pas changer leurs positions, cela veut dire que l’ONU est obligée toujours de prendre les membres d’une partie de l’opposition, appelée par certains pays l’opposition syrienne ou la délégation de SNC (Commission Syrienne de Négociation). Et malheureusement, avec ces membres, l’ONU ne pourra rien faire avancer. Il faut avoir, comme nous, l’opposition qui était à Sotchi, une opposition modérée, réaliste et raisonnable. Je crois que nous seuls, pourront faire vraiment une avancée en Syrie. Et nous pourrons au moins écrire ou commencer à rédiger une nouvelle Constitution en Syrie pour commencer la solution politique.»

 

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