LE SOIR            07/08/2012

Premier ministre, dernier des convertis

MESKENS,JOELLE; AFP; LALLEMAND,ALAIN

Syrie Le chef du gouvernement Riad Hijab a rejoint l’opposition avec famille et collègues

RÉCIT

Tout a commencé par un tweet discret, le 30 juillet, annonçant une « défection majeure (major defection) en préparation ». Ces quelques mots vont retenir l’attention parce qu’ils émanent d’un compte Twitter syrien déjà réputé pour avoir annoncé le tout premier, début juillet, la défection d’un général trois étoiles de la Garde républicaine, Manaf Tlass.

Mais de qui pouvait-il bien s’agir cette fois ? Qui était la prochaine grande figure à passer à l’opposition ? Le colonel Yaraab Shara, chef de la section « information » de la Sécurité politique de Damas ? Révélée ce dimanche par Al-Arabyia, cette défection-là n’a même pas été discutée : d’évidence, un bien plus gros poisson était dans la nasse.

Ce lundi pourtant, lorsque le Premier ministre syrien en personne, Riad Hijab, 46 ans, franchit subrepticement la frontière jordanienne pour passer à l’opposition avec armes et bagages (« Je vous annonce que je suis à partir d’aujourd’hui un soldat de cette révolution bénie », déclare-t-il), le fameux compte Twitter reste silencieux. Il se produit même comme un flottement : en apprenant que le Premier débarque en Jordanie avec dix membres de sa famille – dont huit frères – ainsi que deux à trois ministres, les analystes s’interrogent : « Quand est-il trop tard pour faire défection ? », demande l’équipe de Now Lebanon, relevant que Riad Hijab, autrefois ministre de l’Agriculture, n’a été nommé Premier ministre que le 23 juin, à un moment où la rébellion battait déjà son plein. En d’autres termes, faut-il lui ouvrir les bras ou le juger comme complice de crimes de guerre ?

Comme pour désamorcer la critique, le propre porte-parole de ce chef de gouvernement en cavale, Mohammad Otri, affirmera que cette défection « se négociait depuis plusieurs mois, bien avant sa nomination » au poste de Premier ministre.

« Plusieurs mois » est probablement exagéré. Mais lorsque le fameux compte Twitter si bien informé se remet à siffler dans la journée de lundi, c’est bien pour confirmer qu’il y avait eu suffisamment de négociations pour que cela commence à se savoir : l’information a fui avant même que le Premier syrien et sa famille ne soient en sécurité en Jordanie. D’où le silence du lanceur d’alerte officiant sur Twitter. « L’information a fui trop tôt pour sa sécurité », confirme le mystérieux compte, démontrant à nouveau son excellent niveau d’information par un laconique : « Il y a deux autres ministres avec Hijab, pas trois. »

Trois ministres, pas quatre

Bref, lorsque Damas fait annoncer par ses médias que Hijab n’a pas fui mais qu’il a été « démis », c’est bien de la propagande, mais il s’en est fallu de peu : une course s’était effectivement engagée entre le pouvoir et les ministres passés à l’opposition. A Damas, avant d’être démentie, la rue colportera brièvement la rumeur d’un quatrième passage ministériel à l’ennemi – ce quatrième ministre fantôme que Riad Hijab n’a pas dans ses bagages mais que saluent pourtant certaines sources de l’opposition syrienne : le ministre des Finances Mohammad Jlailati sera forcé de se montrer dans son bureau, en train de travailler « normalement ».

Pour bien afficher que cette nouvelle défection ne l’atteint pas outre mesure, Damas a fait annoncer qu’Omar Ghalawanji, jusqu’ici vice-Premier ministre et ministre de l’Administration locale, a été désigné pour « expédier les affaires courantes ». Et pour compromettre Hijab autant qu’il le faut, la Syrie fait savoir que le fuyard a encore présidé ce dimanche deux réunions centrées « sur les mesures à prendre pour réaménager les régions purifiées des groupes terroristes armées ».

L’intéressé, lui, fait confirmer au départ de la Jordanie qu’il va bientôt quitter Amman – demain ou après-demain – pour gagner Doha (Qatar) : « Hijab ira à Doha, où sont basés les médias internationaux. Il s’y rendra demain, après-demain ou d’ici quelques jours », déclare son porte-parole Mohammad Otri.

Pourquoi maintenant ?

Fin de l’histoire ? Pas tout à fait. Une inconnue demeure : pourquoi un baasiste réputé loyal, sunnite comme il se doit lorsqu’on est Premier ministre syrien, a-t-il fait défection maintenant et pas plus tôt ? Car des insurgés en témoignent : depuis le départ de l’insurrection, alors qu’Hijab était encore simple gouverneur de Lattaquié, il a interdit à l’armée et à la police de réprimer les manifestations aux premiers jours. Lorsque des heurts – et des arrestations – sont devenus inévitables, le gouverneur Hijab est parvenu à faire relâcher quinze personnes au moins. Hijab a toujours eu une distance critique vis-à-vis du régime Assad.

Alors pourquoi un revirement si tardif ? L’une des explications possibles tient à son lieu de naissance, Deir ez-Zor, près de la frontière irakienne. C’est là qu’il a fait toute sa carrière, non pas ministérielle (il n’est monté au gouvernement national qu’en avril) mais militante : Hijab a été secrétaire du parti baasiste de sa région natale de 2004 à 2008, c’est là que se trouvent ses racines familiales. Et c’est un endroit où la répression a été implacable ces dernières semaines.

« La solution viendra des alaouites »

RENCONTRE

PARIS

De notre envoyée permanente

C’est un signe très encourageant. » En exil à Paris, l’opposante Randa Kassis, membre du Conseil national syrien et ancienne présidente de la coalition laïque et démocratique, se félicite de la défection, lundi, du Premier ministre syrien Riad Hijab (lire ci-dessus). Jamais depuis seize mois de soulèvement un si haut dignitaire du régime de Bachar Al-Assad n’avait lâché le dictateur. « Ce n’est pas pour autant le début de la fin », relativise Randa Kassis, qui rappelle que Riad Hijab est sunnite. Pour elle, c’est surtout des alaouites que pourrait venir l’issue.

Cette jeune et belle anthropologue de formation suit heure par heure la situation dans son pays. L’assaut d’Alep ? Elle prédit un « carnage », l’armée libre syrienne (ASL) s’étant laissée encercler par les forces de Bachar Al-Assad. Six mille insurgés contre vingt mille soldats de l’armée régulière : l’issue ne fait pour elle aucun doute. Provisoirement, le régime de Damas reprendra confiance, croit-elle. Mais à terme, elle pense inéluctable la chute du dictateur.

Une intervention internationale ? Elle n’aura pas lieu, estime-t-elle. Non seulement parce que la Chine et surtout la Russie maintiendront leur veto mais parce que les Etats-Unis n’ont aucune envie de s’engager sur un nouveau front et face à une armée bien plus structurée qu’en Libye. « En revanche, la communauté internationale et surtout les Etats-Unis pourraient procéder à des opérations clandestines en Syrie », explique-t-elle. « Avec leur aide, Bachar Al-Assad pourrait être renversé voire même supprimé physiquement par des alaouites (NDLR : la minorité à laquelle appartient le président syrien) qui ne le soutiennent que par peur d’être persécutés comme dans le passé. Même la vieille garde le déteste. »

L’opposante ne nie pas la division qui fait rage au sein des forces d’opposition. Elle-même a d’ailleurs protesté contre les exécutions de partisans du régime d’Al-Assad et a réclamé que ces exactions soient condamnées avant d’accuser le régime de Damas. Pour autant, elle balaye le scénario d’une guerre civile. « On voit bien que Damas joue cette carte. Mais même s’il y a eu quelques incidents, il ne faut pas se tromper de guerre. Celle-ci oppose la population au régime, pas les communautés entre elles. » Voire ? « La Syrie est une mosaïque de religions, d’idéologies et d’ethnies », admet Randa Kassis. « Quarante ans de répression n’ont pas familiarisé les Syriens avec le pluralisme ! Toutes les forces d’opposition sont d’accord pour faire chuter Bachar Al-Assad, mais tout le monde ne s’entend pas sur les moyens d’y parvenir. Armer des déserteurs, c’est une chose. Mais donner des armes à des civils, c’est dangereux », avertit-elle sur le plan stratégique. La menace islamiste est, elle aussi, prise très au sérieux. « Les Frères musulmans disent qu’ils arment les milices. L’aide humanitaire est parfois récupérée et redistribuée sous conditions. Des islamistes venus de tout le monde musulman s’infiltrent. C’est un danger qu’il faut fermement dénoncer sous peine de voir la révolution détournée

de sa cause et se transformer en djihad. » Pour Randa Kassis, le conflit sera long, très long. « La démocratie ne s’installera pas du jour au lendemain », dit-elle. « Cela prendra peut-être vingt ou cinquante ans. » Mais, veut-elle croire, la liberté est en marche.

les autres faits du jour

Attentat contre la TV

Un attentat à la bombe a secoué à Damas le siège de la radio-TV d’Etat, principal outil de propagande du régime. Cette attaque est survenue alors que l’armée a affirmé il y a deux jours contrôler totalement la capitale après avoir repris le quartier de Tadamoun.

Combats à Alep

Des bombardements ont visé le Palais de Justice et les quartiers de Chaar et de Marjé, à l’est de la ville.

Nouvelle défection dans l’armée

Un général est arrivée en Turquie accompagné de cinq officiers de haut rang et de plus de 30 soldats. Au total, 31 généraux ont déjà fait défection.

Armes aux rebelles

Le Qatar, l’Arabie saoudite et « un peu » la Libye fournissent des armes aux rebelles syriens, a affirmé lundi à Paris une des porte-parole du Conseil national syrien (CNS) dans une interview à Europe 1. Il s’agit d’armes « légères et conventionnelles », a-t-elle précisé.

Reference : Premier ministre, dernier des convertis

http://archives.lesoir.be/premier-ministre-dernier-des-convertis_t-20120806-021QXQ.html

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