WORK MAGAZINE Mai 2013

Anthropologue et journaliste franco-syrienne, Randa Kassis est présidente du Mouvement de la société pluraliste, une formation politique laïque ouverte à tous ceux qui, parmi les groupes confessionnels syriens ( Chrétien, Kurde, Alaouite et Sunnite ), refusent d’être opposés les uns aux autres.En Août 2012, Randa Kassis a été exclue de Coalition nationale syrienne ( CNS ) suite à ses déclarations dénonçant la montée des islamistes au sein de cette structure qui fédère les différents courants de l’opposition au régime de Bachar el-Assad.

par Jean-Claude Galli turée.

comment, selon-vous, doit-on considérer les révolutions arabes plus de deux ans après leur déclenchement ?

C’est le premier face à face entre nos sociétés civiles et le monde religieux. Peu de temps avant la chute du président Ben Ali, j’avais écrit que la mort de Mohamed Bouazizi ( ndlr : jeune marchand ambulant dont l’immolation le 17 décembre 2010 sonne le début duPrintemps arabe ) et le soulèvement de la population tunisienne ouvraient pour les pays arabe sune époque où serait remise en question la place qu’y occupe la religion. Durant le Printemps arabe, Internet a été le théâtre d’une guerre féroce sur les réseaux sociaux où s’affrontaient les laïcs et les islamistes, les modérés et les extrémistes.Une guerre page web contre page web à l’échelle internationale. C’était la première fois que les sociétés civiles arabes défiaient ainsi les religieux.

 

Ce sont pourtant les partis religieux et les groupes islamistes sunnites qui sont aujourd’hui à la tête de la guerre menée en Syrie contre le régime du président Assad ?

Oui et ce n’est pas un hasard. L’épouvantail islamiste fait les affaires du régime. C’est même lui qui l’a mis en place. Bachar el-Assad savait que l’opposition modérée n’était pas bien structurée. Alors, il s’est empressé d’éliminer ces principaux opposants laïcs, puis a fait libérer les extrémistes religieux des prisons. Le régime a toujours su jouer de la carte islamiste. En 2003, il facilitait le départ de ceux qui voulaient aller se battre en Irak contre les Américains. Aujourd’hui, ces mêmes combattants, rentrés au pays, favorisent le nouveau scénario voulu par Assad, un scénario destiné à effrayer les occidentaux.

 

Vous pensez que Bachar el-Assad croit toujours pouvoir s’en sortir ?

Rappelez-vous de l’assassinat de Rafiq Hariri ( Premier ministre libanais mort à Beyrouth dans un attentat le 14 février 2005 ), c’est l’une des grandes erreurs politiques commises par Assad. Et pourtant, en dépit des preuves accumulées contre son régime dans cette affaire, il sera reçu quelques années après par Nicolas Sarkozy, en grandes pompes, à Paris, le 14 juillet sur les Champs Elysées, afin d’assister au traditionnel défilé militaire ! Comment voulez-vous qu’ensuite il ne soit pas convaincu qu’il puisse se sortir de tout ?

 

Après avoir soigneusement évité d’intervenir, Français et Anglais se disent prêts maintenant à armer les rebelles. Comment expliquez-vous ce revirement ?

Il existait jusqu’à aujourd’hui un accord tacite entre Damas et la communauté internationale. Tant que le régime ne touchait pas à Israël et au Liban, qu’il n’utilisait par d’armes chimiques et qu’il bombardait modérément la population, les grandes puissances n’interviendraient pas directement. Mais voilà trois mois que les états-Unis et la Russie ont entamé des négociations. Ce qui revient à exclure la France et le Grande-Bretagne de la solution politique.

 

Paris et Londres promettraient des armes uniquement pour rester dans le jeu ?

Mais tout le monde souhaite y rester, mais en jouant sa propre partition ! Les USA, la Russie, l’Iran, Israël, la France et l’Angleterre, tout le monde ! Le problème, c’est que Paris et Londres travaillent avec des représentants de l’opposition qui ne sont pas les bons. Les Frères musulmans ont pris le pouvoir au Conseil national syrien ( CNS ) et les extrémistes islamistes ont infiltré l’Armée syrienne libre ( ASL ). Ces groupes radicaux manipulent tout le monde, la France notamment avec l’aide du Qatar. Les Frères choisissent et mettent en avant des figures islamistes indépendantes qui n’ont aucun poids politique mais qui rassurent les occidentaux. C’est la même chose pour l’armée. Avant, l’ASL était composée essentiellement de déserteurs de l’armée syrienne. Puis, sont apparus des groupes djihadistes qui s’en réclament mais qui n’ont rien à voir avec elle. C’est à des gens qui viennent de prêter allégeance à Al -Qaida ( Le front Al-Nosra ) que vous voulez donner des armes?

 

Certains groupes seraient plus modérés que d’autres…

C’est quoi un islamiste modéré? Vous pouvez me l’expliquer ? A mon sens, cela n’existe pas. Quand on prétend être un modéré on est pour la laïcité.

 

Les négociations entre Moscou et Washington peuventelles aboutir ?

Pour l’instant, elles sont laborieuses. Chacun pousse ses cartes. En l’occurrence, les Américains poussent les Français ( à fournir des armes à l’opposition ) qui ne devraient pas prendre cette responsabilité. En même temps les USA ont des cibles, des personnes à éliminer, ils mènent sur place des opérations clandestines. Pour eux, il s’agit de garantir la sécurité d’Israël et la stabilité de la région. Au delà, le jeu des États-Unis n’est pas clair, à l’égard des Turcs et des Kurdes notamment. Les Israéliens, quant à eux, préfèrent une Syrie divisée et affaiblie. Ils redoutent la mise en place d’un gouvernement islamiste à Damas. Les Russes, enfin, ont des accords et des intérêts à préserver en Syrie. A partir du moment où on leur donne des garanties et qu’ils perçoivent une alternative à Bachar el-Assad, c’est à dire un leader fiable et des opposants qui le sont aussi, alors une solution politique est possible. Seuls Poutine et Obama sont en mesure de débloquer la situation.

 

On dit que les milieux d’affaires syriens soutiennent encore Assad…

C’est exact, et les milieux d’affaires à Damas c’est la bourgeoisie sunnite. Des Sunnites dont les intérêts sont liés à ceux d’un régime aux mains du clan Assad et donc des Alaouites. Les milieux d’affaires veulent sortir de l’impasse de la guerre mais ils n’ont pas de vision claire. C’est le coeur du problème: chacun prétend vouloir un compromis, mais personne ne parvient à en jeter ne serait-ce que les bases.

Reference  : WORK_02

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