L’Hémicycle                    11/02/2014

Randa Kassis fut l’une des membres du Conseil national syrien. Après en avoir été exclue, elle a fondé le Mouvement de la société pluraliste, qui réunit des représentants des minorités syriennes (chrétiens, kurdes, alaouites, laïcs) et de la majorité sunnite. Laïque, issue d’une famille chrétienne, elle milite contre la création d’un État islamique en Syrie.

 

Pouvez-vous d’abord rappeler pourquoi vous avez été exclue du CNS ?

J’en ai été exclue quand j’ai alerté la communauté internationale sur la montée en puissance des islamistes fondamentalistes en Syrie. J’expliquais qu’un groupe proche d’Al-Qaïda s’y était infiltré. On me reprochait, en affirmant cela, de donner de la crédibilité au discours de Bachar el-Assad, qui ne cessait de discréditer la rébellion, mais c’était un fait. J’étais pourtant bien consciente que Bachar el-Assad avait favorisé le terrain à ces djihadistes en Syrie – ils n’y étaient pas au début de la révolte. Certains membres du CNS ne voulaient pas reconnaître ce qu’il se passait, tout comme ils ne voulaient pas reconnaître les exactions commises par les brigades de l’Armée syrienne libre (ASL, nationaliste, N.D.L.R.). J’ai été attaquée, menacée, puis exclue du CNS.

Vous contestez aujourd’hui l’autorité de cette coalition…

Elle ne pèse rien sur le terrain. Aujourd’hui, vous avez trois zones en Syrie : une zone autonome kurde, une zone contrôlée par le régime, et enfin une partie est contrôlée par les islamistes.

Vous ne faites pas la distinction entre l’islamisme modéré et les djihadistes ?

Non, l’islamisme modéré n’existe pas, je n’y crois pas. Il n’y a qu’une seule manière d’être un islamiste, c’est de souhaiter la création d’un État islamique.

Une coalition rebelle formée de l’ASL, du Front islamique (le plus important groupe de rebelles) et du Front Al-Nosra (djihadiste) ne s’est-elle pas attaquée à l’EIIL (groupe djihadiste proche d’Al-Qaïda) ?

Le Front islamique a décidé de collaborer avec l’EIIL. Je ne crois pas que le Front Al-Nosra ou l’EIIL soient combattus par le Front islamique pour des raisons patriotiques, ce sont des luttes d’influence, des luttes pour conquérir des territoires. Il faut rappeler que l’Armée syrienne libre n’existe plus. Je ne crois pas que le Front islamique considère l’EIIL comme son ennemi, ils luttent pour la même cause : créer un État islamique et l’application de la charia. Qu’ils soient modérés ou fanatiques, ces islamistes ne se battent pas pour la liberté des Syriens. Je vois tous les jours se manifester la haine de certains sunnites contre les chiites, les alaouites, les druzes, les kurdes ou les chrétiens. Je ne peux pas tolérer cela sous prétexte que nous avons un ennemi commun, le régime de Bachar el-Assad. Je ne veux pas que la charia soit appliquée, car elle est la négation de la démocratie, elle nie les droits des individus. En Syrie, il y a 35 % de minorités qui n’accepteront jamais un État islamique et l’application de la charia. Entre le Front islamique et les djihadistes, seule la méthode change.

Vous dites qu’il n’y a jamais eu de dialogue entre les sunnites et les minorités, que l’unité de la Syrie est impossible. Pourquoi ?

Où est l’unité en Syrie ? Je sais bien que 10 à 15 % des sunnites sont laïcs, mais ils ne peuvent rien faire face à ceux d’entre eux qui souhaitent un État islamique, sauf à prendre le risque d’être persécutés. L’identité est aujourd’hui essentiellement religieuse en Syrie. Dès lors, comment se mettre d’accord sur un projet politique ? Il y a une différence entre nos désirs et les réalités, l’unité du pays sera un long chemin, c’est une question de culture, d’éducation, il faudra plusieurs générations. C’est alors que nous pourrons affirmer que cette révolte était une révolution. Il ne faut pas courir derrière des mots vides de sens, il faut voir ce que nous pouvons faire concrètement pour la Syrie de demain.

Vous affirmez que les alaouites n’accepteront jamais de perdre leur pouvoir absolu, et que jamais les sunnites n’accepteront de le partager, s’ils l’obtiennent. Comment espérer la paix ?

Le problème majeur, c’est la confiance : elle n’existe pas aujourd’hui en Syrie entre les communautés. Si on explique aux alaouites qu’ils doivent lâcher le pouvoir et accepter d’être gouvernés par des sunnites financés par des Saoudiens et des Qataris, ils ne l’accepteront évidemment pas. Pourquoi lâcheraient-ils ce pouvoir qu’ils détiennent totalement ? Les alaouites vont lutter jusqu’au bout. En revanche, il est possible de les convaincre de lâcher une partie de ce pouvoir. Je crois à un changement progressif, pas à un changement radical.

Et vous militez pour une Syrie fédérale…

Oui, c’est la meilleure solution, parce qu’elle pourra fédérer toutes ces communautés pour créer une identité nationale. Au début de la révolte, il s’agissait bien d’un combat entre un régime tyrannique et un peuple aspirant à plus de liberté, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui, avec l’appel au djihad, et avec une partie des sunnites disant vouloir exterminer jusqu’au dernier les alaouites et les chrétiens…

Vous défendez le processus de négociation engagé à Genève. Pensez-vous qu’une solution puisse en sortir ?

Je défends ce processus politique, effectivement. C’est une pression sur le régime, contraint de faire des avancées, comme lorsqu’il a accepté la création de corridors humanitaires dans les villes assiégées. Je suis d’ailleurs sidérée que certains membres de la coalition aient pu s’opposer à cela, qu’ils souhaitent empêcher les habitants de Homs de sortir d’un enfer, c’est inhumain. Pendant ce temps, le régime, lui, marque des points : il vient de faire un compromis avec certains groupes rebelles, et divise la coalition

La coalition n’a aucune chance de trouver son unité ?

Non, le seul dénominateur commun, c’est qu’ils sont tous financés par l’Arabie saoudite et le Qatar.

Par décret royal, le roi Abdallah d’Arabie saoudite a décidé de punir sévèrement tout citoyen saoudien s’engageant ou soutenant une organisation extrémiste. Un leurre ?

Non, c’est peut-être vrai. Mais y parviendra-t-il ? En étant un peu cynique, je vous dirais qu’il faut une déstabilisation de l’Arabie saoudite pour qu’elle change…

Il est aujourd’hui très difficile pour les journalistes d’aller travailler en Syrie. Comment vous informez-vous ?

Je suis en lien avec de nombreux comités locaux dans les territoires en révolte. Je suis également en contact avec des opposants alaouites. J’ai même des informateurs du régime, qui ne sont pas du tout favorables à la politique menée par Bachar el-Assad.

Des alaouites qui souhaitent le départ d’Assad ?

Oui, ils me disent qu’ils ne se battent pas pour Assad, c’est pour eux un combat existentiel. Quand vous êtes dans un combat existentiel, la pensée disparaît, et vous êtes prêt à tout.

Reference:http://www.lhemicycle.com/le-probleme-majeur-cest-la-confiance-elle-nexiste-pas-aujourdhui-en-syrie-entre-ses-communautes/

Page 1– 2