Publié le 24-09-2014, Le Figaro

Par Fabien Baussart*, Alexandre del Valle**, et Randa Kassis***

 Afin de lutter contre l’Etat islamique (EI), cette monstruosité totalitaire destinée à soumettre le Moyen Orient puis à terme le monde entier,dix États de la Région ont signé le “communiqué de Jeddah”, dans lequel ils s’engagent à aider Barak Obama dans sa campagne contre l’EI. Une signature manquait à cet appel : la Turquie d’Erdogan… Lorsque le secrétaire américain à la Défense, Chuck Hagel, a tenté de convaincre la Turquie de participer à la coalition internationale contre l’EI, Ankara a catégoriquement refusé.

  Rompant l’élémentaire solidarité atlantique, Ankara a refusé que des avions américains ou de l’OTAN décollent des pistes turques, pourtant les plus opérationnelles pour atteindre l’Irak. Rappelons que l’armée de l’air turque dispose des dernières technologies issues de l’industrie militaire américaine, que ses pilotes sont formés par les Etats-Unis et que la Turquie abrite 24 bases de l’OTAN. L’argument officiel avancé par Recep. Tayyip Erdogan était jusqu’au 20 septembre dernier le sort des 46 prisonniers turcs capturés à Mossoul par l’EI en juillet. On sait aujourd’hui qu’ils ont été libérés en échange de l’aide turque aux jihadistes qui combattent les Kurdes en Syrie… Le prétexte des otages a servi à masquer une autre réalité, totalement inacceptable de la part d’un Etat « allié» qui se dit opposé au terrorisme, qui veut d’intégrer l’Union européenne et qui est un pilier de l’Alliance Atlantique : la Turquie du néo-Sultan Erdogan soutient – tant en Syrie qu’en Irak – des groupes islamo-terroristes, dont l’EI, qui compte 1000 jihadistes turcs… Depuis le début de la guerre civile syrienne, Ankara a fermé les yeux sur les camps d’entraînement de l’EI en Turquie et sur le passage par son territoire d’armes et de jihadistes du monde entier venus combattre en Syrie ou en Irak. Les jihadistes sont recrutés au grand jour  en Turquie dans les mosquées, les écoles et même parmi les forces de sécurité… La réalité de l’appui du gouvernement turc à l’EI est dénoncée par l’opposition turque elle-même (parti CHP) qui déplore que son pays est devenu la plus sûre base arrière de l’EI, dont l’une des composantes, la puissante Confrérie islamiste des Naqshband, est très proche de l’AKP et d’Erdogan… Le néo-Sultan turc détesterait-il l’alaouïte Bachar al-Assad plus encore qu’il ne craint l’EI ? Ou serait-il carrément solidaire des jihadistes (nostalgiques comme lui du « Califat ») qui combattent par les armes les alaouïtes laïques syriens comme il combat politiquement leurs cousins turcs alévis tout aussi « infidèles » ?

 

Ces dernières semaines, la Turquie a agi comme un véritable allié de l’EI face aux Kurdes de Syrie, hélas bien moins armés, et dont les défaites récentes à Kobanê (Nord de la Syrie) s’expliquent par le fait que l’armée turque a livré au moins 5 chars et nombre d’armes lourdes à l’EI… Enfin, la Turquie a également refusé de faire cesser la contrebande d’hydrocarbures en provenance d’Irak et de Syrie alors que les dizaines de champs pétroliers et de raffineries d’Irak et de Syrie contrôlés l’EI génèrent de 2 millions de dollars par jour…Plus personne ne peut nier le rôle ambigu d’Erdogan et son soutien à l’EI.

 

Les Etats-Unis et l’OTAN, si prompts à dénoncer la Russie dans les dossiers nucléaire iranien ou la crise ukrainienne, devraient faire preuve d’une aussi grande vigilance vis-à-vis d’un pays qui a encore bien moins d’excuses de ne pas jouer le jeu de la solidarité occidentale car il est un membre majeur de l’OTAN. Face à un danger aussi grave que l’Etat islamique, Erdogan et son Premier Ministre Ahmet Davutoglu, artisan de la stratégie « néo-ottomane », doivent choisir leur camp : soit la Turquie reste membre de l’Alliance et alors elle participe à la coalition contre l’EI et cesse de lui livrer des armes, soit elle continue d’agir en allié du pire ennemi des démocraties depuis le IIIème Reich et l’URSS et alors elle quitte l’OTAN. De son côté, l’organisation atlantique doit être plus cohérente : elle a toléré depuis 1974 l’invasion turque de 37 % de l’île de Chypre – pourtant membre de l’Union européenne – puis le viol permanent des frontières de la Grèce (pourtant membre de l’Alliance), notamment en Mer Egée. Elle ne peut plus tolérer le soutien d’Ankara aux jihadistes que dénoncent les kémalistes eux-mêmes. La France, qui a rejoint le Commandement intégré de l’OTAN en 2009 après l’avoir quitté en 1966 sous le Général de Gaulle, doit en tirer les conséquences si la Turquie ne clarifie pas ses positions. Allons-nous supporter encore longtemps les agissements inqualifiables d’Erdogan ?

 

*Fabien Baussart, président du Center of Political and Foreign Affairs (CPFA),

**Alexandre del Valle, Géopolitologue, auteur de l’essai : Le Complexe occidental, Petit traité de déculpabilisation, éditions du Toucan, 2014.

***Randa Kassis, opposante Syrienne,  présidente du Mouvement de la Société Pluraliste