Atlantico 11/06/2016
Suite aux attentats de 2015 et la mise en oeuvre de la stratégie de Vladimir Poutine en Syrie, les gouvernements occidentaux ont renoué avec le réalisme géopolitique. Mais ils continuent de considérer comme représentants légitimes de l’opposition syrienne des islamistes comme Jaysh al-islam, ce qui en dit long sur l’alignement des Occidentaux sur leurs alliés du Golfe et d’Ankara. Selon les auteurs, cet alignement explique en partie la prolifération des cellules djihadistes en Europe, qui rongent les démocraties de l’intérieur. Extrait de “Comprendre le Chaos syrien”, d’Alexandre del Valle et Randa Kassis, aux éditions l’Artilleur 1/2
L’occasion ratée de retour en grâce dans le concert des nations
À partir de 2007-2008, avec l’arrivée au pouvoir en France de Nicolas Sarkozy , qui ne partageait pas du tout la haine viscérale de son prédécesseur Jacques Chirac envers Bachar al-Assad, le régime baathiste est invité par une France redevenue pragmatique et décidée à faire revenir la Syrie à la table des négociations avec l’Occident. Le président français Nicolas Sarkozy espérait alors un rapprochement avec le régime syrien pour tenter de résoudre le conflit israélo-arabe et pour couper la Syrie de l’Iran, ennemi majeur.
Jusqu’au mois de décembre 2010, à la veille des révolutions arabes, la situation du régime syrien était donc plutôt favorable. Malgré la crise libanaise, qui est survenue après l’assassinat du Premier ministre libanais Rafic Hariri et qui a provoqué un certain isolement de la Syrie sur la scène internationale, le régime alaouite baathiste a su maintenir des rapports plus qu’étroits avec le voisin turc, bien qu’étant gouverné par le parti islamiste sunnite AKP, le parti de la Justice et du Développement. Le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan, proche des Frères musulmans et leader de l’AKP, a en effet joué un temps le rôle de protecteur du régime syrien face aux Occidentaux et aux régimes arabes « modérés », poursuivant en cela la politique de réconciliation entre les deux anciens ennemis inaugurée par l’ex-président turc kémaliste Ahmet Sezer. Le but de cette alliance, un temps poursuivie dans le cadre de la nouvelle diplomatie dite « néo-ottomane » (ou « zéro ennemis ») déployée par le conseiller et ministre des Affaires étrangères d’Erdogan, Ahmet Davutoglu, auteur d’un ouvrage intitulé La Profondeur stratégique 1, visait à favoriser le développement du commerce entre la Syrie et la Turquie (droits de douane, suppression des visas) et surtout à obtenir de la part de Damas la reconnaissance de la cession définitive de la région arabophone d’Alexandrette, longtemps revendiquée par la Syrie.
De plus, en succédant soudainement à son père, décédé le 10 juin 2000, Bachar n’a non seulement pas réalisé de réformes et progrès semi-démocratiques, comme son jeune homologue le roi du Maroc Mohamed VI , mais il a au contraire consolidé le système de gouvernance familiale clanique syrien qui a confisqué toutes les ressources économiques du pays et monopolisé tous les pouvoirs. À titre d’exemple, le cousin maternel du président syrien, Rami Makhlouf, empoche à lui seul 60 % des résultats des activités économiques du pays chaque année… Cela signifie que, depuis l’ouverture de la Syrie au reste du monde opérée depuis le début des années 2000, les résultats d’une économie syrienne libéralisée et ayant enregistré un taux de croissance annuelle entre 5 et 6 % n’ont profité qu’à environ 0,05 % de la population, dont surtout la propre famille du président… une situation similaire à la dérive totalement népotiste du clan Kadhafi en Libye ou des clans Ben Ali -Trabelsi en Tunisie.