Sputnik 19/12/2018
Vers une avancée pour la paix en Syrie? Les diplomaties turque, russe et iranienne ont indiqué être parvenues à un accord sur la formation de listes pour le futur comité constitutionnel. S’ils l’ont présenté à Staffan de Mistura ce mardi 18 décembre, aucun résultat concret n’a été annoncé par l’Onu. Interview avec Randa Kassis.
Que ressort-il des dernières discussions sur la Syrie? Se dirige-t-on vers des avancées politiques?
Les ministres des Affaires étrangères turc, russe et iranien ont annoncé, par l’intermédiaire de Téhéran, s’être accordés sur la constitution des trois listes du comité qui serait chargé de rédiger une nouvelle Constitution pour la Syrie, toujours en guerre dans certaines parties de son territoire.
S’ils ont présenté ces listes à Genève, ce mardi 18 décembre à Staffan de Mistura, l’envoyé spécial des Nations unies pour la Syrie, rien de concret n’est ressorti de cette réunion. Est-ce dû au prochain remplacement de de Mistura en tant que représentant spécial de l’Onu? Aux dernières déclarations françaises sur Daech* et Bachar el-Assad?
Randa Kassis, franco-syrienne, est très fortement impliquée dans la vie politique de son pays tout en vivant à l’étranger. Elle est la présidente de la plateforme d’Astana depuis 2016, membre du présidium de Sotchi et fait partie depuis quelques mois d’un groupe de travail regroupant des personnalités de l’opposition à Damas. Ce groupe, sous l’égide de Sant’Egidio, cherche à réunir une «opposition réaliste» au gouvernement actuel syrien et à proposer des solutions pour transformer la Constitution du pays. Elle livre son analyse personnelle sur ces dernières évolutions en ne cachant pas un certain scepticisme sur une paix prochaine et sur le futur ex-émissaire de l’Onu pour la Syrie, Staffan de Mistura.
Une interview réalisée avant l’annonce du retrait de tous les collaborateurs du département d’État américain.
Sputnik France: «Les ministres ont présenté les résultats positifs de leurs consultations avec les parties syriennes sur la composition du comité constitutionnel», selon un document lu par le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov. Qu’en pensez-vous?
Randa Kassis: «C’est certain qu’il y a eu un vrai travail réalisé par les trois pays garants [Turquie, Iran et Russie, ndlr]. Ils se sont mis d’accord sur les listes qui formeront le comité. La première liste, celle de l’opposition a été modifiée. Les forces de l’opposition qui se trouvait dans le présidium de Sotchi ont notamment été ajoutées. Concernant la troisième liste de la société civile, beaucoup de noms ont été enlevés, d’autres ont été rajoutés.
Cependant, selon moi, il n’y avait pas d’accord entre les trois pays garants et l’envoyé spécial de l’Onu, Staffan de Mistura.
Cependant, ce n’est pas étonnant du tout puisque de Mistura a toujours insisté pour intégrer certains noms à cette dernière liste…»
Sputnik France: Que pensez-vous de l’action de Staffan de Mistura, qui —je le rappelle- aurait dû quitter son poste il y a déjà quelques semaines? Vous pensez que c’est un élément qui bloque le dossier?
Randa Kassis: «Certainement. Ces noms ne pouvaient pas être dans la liste et pourtant de Mistura a insisté. C’était hors de question pour les pays garants mais aussi pour nous les Syriens. Cela devrait être normalement à nous de décider qui devrait être ou ne pas être dans cette liste. Normalement, l’Onu est un facilitateur et de Mistura n’aurait pas dû intervenir de cette manière-là. Mais de toute façon, c’est fini avec de Mistura.
Cependant, je n’ai jamais pensé que sous de Mistura, on aurait la formation de ce comité constitutionnel. De manière raisonnable, il faut attendre maintenant le nouvel envoyé spécial qui pourrait avoir une nouvelle approche.»
Sputnik France: Il doit être remplacé le 7 janvier prochain par le diplomate norvégien Geir Pedersen. Est-ce que ce remplacement à venir pourrait permettre à ce comité de voir le jour?
Randa Kassis: «Oui, j’ai beaucoup d’espoir. Je crois que Monsieur Geir Pedersen est un homme de qualité, est un homme qui ne cherche pas des intérêts personnels comme Monsieur de Mistura. Il semble vraiment sincère, ouvert à tout le monde et ne risque pas certainement de s’enfermer avec un seul groupe de l’opposition.
Randa Kassis: «Oui, j’ai beaucoup d’espoir. Je crois que Monsieur Geir Pedersen est un homme de qualité, est un homme qui ne cherche pas des intérêts personnels comme Monsieur de Mistura. Il semble vraiment sincère, ouvert à tout le monde et ne risque pas certainement de s’enfermer avec un seul groupe de l’opposition.
Cependant, je pense aussi qu’il faut revoir le format. Je ne pense pas que ce format d’un comité composé de 150 personnes (les 50 noms de chacune des trois listes) pourrait vraiment permettre la formation d’un vrai comité constitutionnel. Ce nombre doit être beaucoup plus restreint. Cependant, il ne doit pas être que de cinq personnes par liste parce qu’il ne serait plus représentatif pour modifier ou établir une nouvelle Constitution. Ce nombre pourrait être de 30 à 50 personnes. Cela serait beaucoup plus représentatif du peuple syrien.»
Sputnik France: Selon vous, quels seraient les bons changements dans la Constitution pour établir une paix durable en Syrie?
Randa Kassis: «Au sein de la plateforme d’Astana, nous sommes très attachés à la laïcité de l’État. Et aussi a un pouvoir semi-parlementaire, c’est-à-dire qu’il faudrait diviser, partager les prérogatives du pouvoir entre la présidence et le parlement. Nous sommes aussi pour une décentralisation. Nous sommes en train de discuter sur la forme à donner à cette décentralisation, qui ne veut pas dire État fédéral ou partition de la Syrie.
Il faut se mettre d’accord avec plusieurs forces politiques de l’opposition et avec le gouvernement syrien actuel. Il faut se mettre d’accord, être réaliste et proposer des compromis pour parvenir à un accord sur des points communs à tous.
Dans le groupe de Sant’Egidio, on a fait ce travail, on a avancé entre plusieurs forces de l’opposition. Nous nous sommes mis d’accord sur un régime semi-parlementaire, sur une décentralisation sans pour autant parler des détails et on a évoqué la laïcité mais il reste beaucoup de points à discuter, à négocier.»
Sputnik France: Le rôle de Bachar el-Assad est-il, selon vous, problématique pour faire avancer la paix en Syrie, pour l’adoption d’une nouvelle Constitution? Comme le souligne encore la France, contrairement aux dernières déclarations américaines et turques.
Randa Kassis: «La question de Bachar el-Assad? On n’en est pas encore là! Bachar ou pas, dans le futur gouvernement, le parti du régime sera représenté. Nous avons besoin d’une équipe qui puisse cohabiter avec une partie du régime et avec les militaires. Il ne faut pas rêver. L’armée ne sera pas réformée même s’il y a sûrement une réintégration de plusieurs des généraux qui ont fait défection en Syrie. Mais cela ne veut pas dire que nous allons restructurer l’armée. Je n’y crois pas du tout.
Et concernant Bachar el-Assad, pourquoi parler d’une question fâcheuse qui pourrait éloigner les différentes parties? Je préfère progresser, travailler sur une nouvelle Constitution ou modifier la Constitution actuelle, se mettre d’accord avec d’autres Syriens, travailler avec une équipe qui puisse cohabiter avec une partie du régime et les militaires. La question d’Assad se posera plus tard.»
Sputnik France: La France ne risque-t-elle pas de se mettre hors-jeu une nouvelle fois en Syrie? Alors que la tendance semble être à la normalisation des relations diplomatiques à Damas. Pour rappel, le Président du Soudan a été reçu par Bachar el-Assad ce lundi 17 et son homologue irakien devrait se rendre dans la capitale syrienne prochainement.
Randa Kassis: «Il n’y a tout de même pas de normalisation. Avant de parler de reconstruction, il faut parler de processus politique. De nombreux pays européens n’ont pas normalisé leurs relations avec Bachar el-Assad, tant qu’il n’y aura pas de processus politique. Tout est lié.
Je ne sais pas si Bachar el-Assad est conscient qu’il n’y aura pas de reconstruction en Syrie tant qu’il n’y a pas de processus politique mais je crois que certains membres du régime sont conscients de cela. Pour reconstruire la Syrie, nous avons besoin de l’Europe et de plusieurs pays qui sont hostiles à Bachar el-Assad.
Pour cette raison, je souhaite qu’on progresse étape par étape, avant de parler ou pas du départ de Bachar el-Assad.»